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CREFF Jean-Arthur, » Mulhouse, Colmar : une histoire parallèle au prisme de leurs bibliothèques municipales »
Mulhouse, Colmar : une histoire parallèle au prisme de leurs bibliothèques municipales
La production d’écrits est une constante en Alsace : sans approfondir cette question, cette présence de l’écrit peut s’expliquer par l’activité continue des abbayes dès le Haut Moyen-Age, puis par la forte implantation de l’imprimerie dans la région à partir de son invention en Occident. En effet, l’Alsace se situe de fait dans le territoire d’éclosion de l’imprimerie, et ceci dans un temps où les circulations dans le territoire du Rhin Supérieur étaient fluides. Cette prégnance de l’écrit a, parmi d’autres aspects, une conséquence sur la présence des bibliothèques dans cette région, nombreuses dès le Moyen-Age, puis à la période des Lumières, et enfin dans les périodes plus contemporaines, après la Révolution puis les périodes de mise en place de politiques de lecture publique.
On pourrait citer ici Pierre Schmitt, directeur de la Bibliothèque municipale de Colmar de 1945 à 1971, ainsi que, parallèlement, du Musée Unterlinden, dans sa préface au volume consacré à Colmar du Catalogue général des manuscrits : «
Les bibliothèques d’Alsace sont de ce fait nombreuses et parfois très singulières. La Bibliothèque nationale et universitaire à Strasbourg a une histoire très spécifique, liée à la période allemande, qui en fait un cas unique en France. La Bibliothèque Humaniste de Sélestat est constituée autour de la bibliothèque personnelle de l’humaniste Beatus Rhenanus. La Bibliothèque municipale de Strasbourg a été incendiée le 24 août 1870, si bien que les fonds patrimoniaux y sont issus de campagnes de dons et d’acquisitions de la fin du XIXème siècle. D’autres exemples pourraient être mis en avant.
Dans ce contexte, cet article a pour objectif de s’arrêter plus particulièrement sur deux bibliothèques : les deux bibliothèques municipales classées d’Alsace, les BMC de Colmar et Mulhouse. L’objectif est d’analyser et de comparer le discours, le récit et la narration que ces deux institutions portent sur elles-mêmes, ou qui sont portés sur elles dans leur territoire.
Ainsi, l’identité de la Bibliothèque municipale de Mulhouse se serait construite dans le cadre du contexte industriel, à la fois liée à une conscience ouvrière complexe et à une relation au paternalisme des grands patrons mulhousiens. A Colmar, en revanche, le récit sur la bibliothèque repose totalement sur le patrimoine, la bibliothèque s’estimant l’héritière des grandes bibliothèques religieuses du Moyen-Age par l’intermédiaire des confiscations révolutionnaires.
On essaiera donc d’appréhender la construction de l’identité et du récit de fondation de ces deux bibliothèques, et ce que ces récits complexes peuvent porter pour l’avenir de ces institutions.
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Les récits de fondation de ces deux bibliothèques sont totalement différents, sinon opposés.
En effet, la mémoire des bibliothèques mulhousiennes du Moyen-Age a été perdue. Cette perte de mémoire s’explique principalement par l’importance de deux moments dans la mémoire, populaire comme savante, des Mulhousiens : 1746 et 1826 d’une part et 1798 d’autre part. Ces temps essentiels ont effacé la mémoire de Mulhouse du Moyen-Age, et en particulier les dates fondatrices de 1515 et 1523.
1746 reste la date centrale dans la mémoire mulhousienne, mise en avant dans tous les textes sur Mulhouse, puisqu’il s’agit de la création de la première manufacture par Koechlin et Dolfus, qui annonce les débuts de la puissance industrielle de Mulhouse jusqu’en 1870. 1798 est la date de la
Des moines pérégrins de haute époque aux humanistes de la
Renaissance, de ceux-ci aux savants juristes du Conseil souverain d’Alsace et aux tenants des cercles
littéraires du XVIIIe siècle, l’Alsace a joué un rôle capital de foyer culturel et de carrefour. »
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réunion de Mulhouse à la République française, à la suite d’un blocus assez sévère. Cette inclusion à la France, pas vraiment volontaire, facilite néanmoins le développement de la puissance industrielle de Mulhouse grâce à la disparition de droits de douane avec le reste de la France. Cette importance de l’industrie à Mulhouse se traduit en 1826 par la création de la Société industrielle de Mulhouse (SIM), société savante qui est l’expression du pouvoir à Mulhouse, sous tous ses aspects et particulièrement intellectuels : la SIM se propose ainsi de faciliter l’accès à tous les types de savoir, dans une approche paternaliste pour les ouvriers (valorisation de l’apprentissage, développement de logements de type social, propositions de formation continue…).
Le mythe fondateur de Mulhouse est bien l’industrie, un mythe fondateur issu du XVIIIème, et qui de plus enjambe la Révolution dans sa première phase.
Les grands moments charnières de la fin du Moyen-Age, 1515 pour l’alliance avec les cantons suisses puis 1523 pour l’adoption de la Réforme sont moins mis en avant, sont même effacés de la mémoire, mais restent essentiels pour comprendre Mulhouse : importance toujours constante de la relation avec la Suisse, grande influence du protestantisme, en particulier dans le contexte concordataire d’Alsace -Moselle.
La bibliothèque municipale est fortement influencée par ce contexte.
La bibliothèque municipale ne se considère donc pas comme héritière d’une tradition du Moyen-Age. Les collections des bibliothèques médiévales mulhousiennes ont été perdues, y compris la mémoire de ces collections. Les bibliothèques religieuses ont disparu lors de la Réforme, et les dernières collections propriété de la République de Mulhouse ont été vendues lors de la réunion à la France. Restaient néanmoins quelques collections au Musée Historique, dont l’origine n’est pas avérée : ces collections ont rejoint dans les années 2010 les collections patrimoniales de la bibliothèque municipale.
Un manuscrit important pour l’histoire de la Suisse : « » d’ Ryff est encore conservé au Musée Historique.
La bibliothèque s’inscrit résolument dans une tradition remontant à la Révolution industrielle, et se considère comme l’héritière de deux traditions parallèles : la tradition des bibliothèques promues par les entrepreneurs dans le cadre d’une démarche paternaliste, et la tradition des bibliothèques liées à la Ligue de l’enseignement, due à l’influence de Jean Macé au cours de son séjour fondateur dans le Haut-Rhin. En 1863, en effet, Jean Macé créée avec Jean Dolfuss, un des représentants éminents des grandes familles mulhousiennes, la société des bibliothèques du Haut-Rhin. L’objectif est le suivant, comme indiqué dans les statuts : « La société a pour but principal de propager l’idée des bibliothèques communales dans le département du Haut-Rhin, et de stimuler l’initiative locale dans toutes les communes où ses membres auront accès. Elle recueillera et publiera tous les ans les renseignements relatifs à ces bibliothèques, décernera des primes d’encouragement aux communes qui se seront le plus distinguées, et des récompenses honorifiques aux bibliothécaires qui auront montré le plus de zèle, prendra en main la cause des bibliothèques dans les cas de contestations, et subsidiairement aidera à leur établissement par dons d’argent quand cela sera reconnu nécessaire ».
Circkell der Eidtgenossenschaft
Andreas
Ce manuscrit richement enluminé est une chronique
de la confédération suisse, écrite en 1597. Il provient néanmoins d’un don de la SIM, et n’est donc
pas un vestige d’anciennes collections.
La présence de ce manuscrit confirme cependant l’importance de la relation de Mulhouse avec la
Suisse.
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Dans ce contexte, toute l’action de la bibliothèque vise à une promotion de la lecture pour tous, pour les enfants en particulier, mais aussi pour les publics qu’on appelle actuellement « éloignés ». C’est le sens de l’installation de la bibliothèque centrale dans son site actuel Grand’rue en 1905, avec la volonté d’accueillir tous les publics. C’est aussi l’explication de la création du réseau de bibliothèques dans les quartiers de Mulhouse, réseau particulièrement serré puisqu’on a pu compter huit bibliothèques (sept actuellement), pour une population relativement stable d’un peu plus de 100 000 habitants.
Cette prégnance d’un engagement envers la lecture publique, qui touche au militantisme pour de nombreux professionnels mulhousiens, est validé en 1972 par le classement de la bibliothèque municipale. Ce classement au titre de la lecture publique est d’autant plus remarquable que le classement des bibliothèques est a priori lié au patrimoine, issu des confiscations révolutionnaires. Il souligne le rôle particulièrement central des expérimentations mulhousiennes pour la création de la politique de lecture publique en France, couronné par la rénovation et extension du site historique à la fin des années 1970. On pourrait même avancer que la BMC de Mulhouse assume dans les années 60 et 70 un rôle comparable d’expérimentation à celui que prendra la Bibliothèque Publique d’Information du Centre Pompidou à partir de la fin des années 70.
Aussi, l’appréhension du patrimoine est très spécifique puisqu’il provient d’acquisitions réalisées aux XIXème et XXème siècles, principalement par don (Gérard, Armand Weiss, fonds de la SIM…). L’importance accordée à une lecture publique militante a amené à un oubli de ce patrimoine, pourtant riche. En 2010 cependant, le service patrimoine a été créé avec une ambition affirmée, afin de permettre à la bibliothèque de déployer de nouveaux services, notamment d’EAC à un moment où les moyens dédiés à la lecture publique s’inscrivaient en baisse (dans le cadre du pacte de confiance et du gel des dépenses des collectivités). Une hypothèse sur cet oubli originel du patrimoine pourrait être l’influence suisse ou rhénane, les bibliothèques municipales rhénanes et suisses ne conservant pas le patrimoine écrit, celui-ci étant conservé par les Universités (Fribourg en Breisgau) ou par des institutions spécifiques (la BNU à Strasbourg dans la tradition allemande, et la Bibliothèque de Genève par exemple).
La bibliothèque conserve cependant un fonds d’excellence autour de l’image. Ce fonds est lié à la tradition de l’estampe à Mulhouse, liée elle-même à la tradition textile, en particulier autour de Godefroy Engelmann, inventeur de la chromolithographie.
La Bibliothèque municipale de Mulhouse, en tant que corps social, composé de ses agents, de ses lecteurs et de ses responsables (élus et fonctionnaires) fonde son récit d’institution sur la conception d’une lecture publique militante, qui trouve ses origines dans les politiques paternalistes des patrons mulhousiens, se confirme avec l’intervention de Jean Macé et aboutit au XXème siècle à des politiques volontaristes menées de manière constante par les décideurs mulhousiens et les agents de la bibliothèque. Cette conception est affirmée et mène à une vision dépréciative du patrimoine mulhousien, un patrimoine digne d’intérêt ne pouvant être conservé à Mulhouse, mais forcément ailleurs, et en particulier à Colmar. Le dépôt de l’Evangéliaire d’Erkanbold a ainsi fait l’objet de débats à Mulhouse, plusieurs responsables mulhousien considérant que ce document si important pour l’histoire de l’Alsace ne pouvait être conservé à la BM de Mulhouse, mais à la BNU, sinon à la BnF. La découverte du patrimoine écrit – finalement très riche – conservé à la BM de Mulhouse est cependant désormais en cours.
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S’agissant du récit des fondations de la Bibliothèque municipale de Colmar, l’article de Pierre Schmitt, directeur de la bibliothèque de 1945 à 1971, dans le Bulletin des bibliothèques de France en 1967 est particulièrement intéressant. C’est la reprise de la préface du tome 58 du « Catalogue général des manuscrits des bibliothèques publiques de France » consacré à Colmar, et il rappelle les origines de la bibliothèque et de ses fonds : « les fonds primitifs de la bibliothèque de Colmar proviennent essentiellement des maisons religieuses et seigneuriales de l’ancienne Alsace supérieure dont la Constituante avait édicté la fermeture. » et il précise encore : « Nos fonds cependant ont des racines infiniment plus vénérables encore et plus précieuses. Les manuscrits les plus anciens proviennent des maisons religieuses, abbayes bénédictines de Murbach et de Munster, abbayes cisterciennes de Lucelle et de Pairis, celle des chanoines réguliers de Saint-Augustin de Marbach. Ce sont ensuite la préceptorerie des Antonins d’Issenheim, les couvents des Dominicains de Colmar et de Guebwiller, le monastère des Dominicaines d’Unterlinden qui fut, au XIVe et au XVe siècle, un des hauts-lieux de la mystique rhénane. A ces collections, il convient d’ajouter les épaves d’autres librairies monastiques, celles des Cluniciens, des Franciscains, des Capucins, des Jésuites, des Ermites de Saint-Augustin, des Chevaliers de Saint-Jean… ».
Dans ce texte, qui présente – il est vrai – un catalogue relativement érudit, Pierre Schmitt présente la bibliothèque d’abord comme une bibliothèque patrimoniale. Ainsi, les textes disponibles autour de la bibliothèque semblent tous orientés vers cet aspect, et aucun texte ou étude ne permet d’appréhender des préoccupations liées à des problématiques de lecture publique ou de diffusion de la lecture.
Les seules réflexions qui pourraient s’apparenter à cette problématique ont trait à l’action des sociétés littéraires, la « Société de lecture » créée par le poète Pfeffel en 1760 puis la « Tabagie littéraire » créée en 1785
C’est ce qui s’apparente le plus à un embryon de lecture publique, même si les membres de ces deux sociétés appartiennent à la bourgeoisie de la ville, et si le nombre de volumes de ces bibliothèques apparaît comme modeste selon nos critères actuels. La « Tabagie littéraire » sera dissoute le
4 Frimaire an II sur ordre du représentant en mission Hérault de Séchelles. Sa collection sera confisquée et rejoindra le « dépôt littéraire ».
A partir de la fin de la Révolution et de l’institution des bibliothèques municipales en 1803, les préoccupations des responsables de la bibliothèque restent d’ordre patrimonial : inventaire, catalogage… Le rôle de Louis Hugot est remarquable en ce sens, avec la création de la Société Schongauer et la transformation du couvent des Unterlinden en musée et bibliothèque. Plusieurs collections de notables rejoignent la Bibliothèque : la collection Chauffour, léguée en 1880, doit être particulièrement mise en avant puisqu’elle compte 147 manuscrits et 22 000 volumes, dont 4 500 alsatiques.
La nomination d’André Waltz à la tête de la Bibliothèque en 1881, ainsi qu’à celle du Musée Unterlinden en 1883 confirme la tendance patrimoniale de la bibliothèque, et affirme une professionnalisation des méthodes de travail. André Waltz publie ainsi en 1889 un catalogue de la collection Chauffour. André Waltz se situe encore dans une tradition fortement érudite comme le prouve la publication de cette œuvre majeure d’érudition, la bibliographie de la Ville de Colmar publiée en 1902, « sous les auspices de la Société Industrielle de Mulhouse et de la ville de Colmar ». Le patronage de la SIM pour ce texte pourrait apparaître comme un signe confirmant cette hypothèse évoquée plus haut, à savoir que le patrimoine ne se situe pas à Mulhouse, mais bien à Colmar.
Ce n’est qu’à partir de la nomination de Pierre Schmitt à la tête de l’établissement, mais aussi à la tête du Musée Unterlinden, – ce qui indique bien la vision portée par la Ville de Colmar sur ces enjeux de bibliothèque et de musée – qu’un fléchissement vers plus de services à l’ensemble des habitants peut être noté. En 1951, la bibliothèque intègre ses nouveaux locaux dans le couvent des
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Dominicains. Cette installation s’accompagne de la création d’une bibliothèque pour les enfants, et par la suite, de nombreux aménagements sont faits vers une proposition de lecture publique (libre accès, discothèque, espaces dédiés aux contes, bibliothèques de quartier…). Dans ce contexte, l’article de Pierre Schmitt en 1963 dans le Bulletin des bibliothèques de France sur l’éducation populaire et l’organisation des loisirs en Hesse mérite d’être souligné : il montre en effet une préoccupation forte sur ces questions, en cohérence avec une tendance affirmée dans le monde rhénan. Même si ces réflexions ne semblent pas traduites dans les faits, la question du service aux habitants dans la sphère culturelle comme sportive commence à émerger dans la réflexion des décideurs.
La Bibliothèque municipale de Colmar fonde principalement son récit d’institution sur le patrimoine. Elle se considère comme l’héritière des bibliothèques du Moyen-Age, et comme l’une des bibliothèques les plus importantes pour l’histoire d’Alsace. Les textes sur cette institution mettent toujours en avant le patrimoine. A l’inverse de l’évolution de la BM de Mulhouse, c’est l’aspect de lecture publique qui passe au second plan, même si une inflexion forte survient en 1951 avec l’installation de la bibliothèque dans le couvent des Dominicains, et en 2012 avec l’installation de l’offre de lecture publique au Pôle Média Culture Edmond Gerrer, situé dans un ancien hôpital du XVIIème siècle, suite à une transformation du bâtiment en médiathèque.
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Ces deux bibliothèques ont donc des récits de fondation tout à fait différents. Ces récits disent aussi beaucoup du regard que la ville porte sur elle-même, et qu’il serait possible d’analyser de la même manière pour d’autres institutions (pourquoi une scène nationale à Mulhouse et un centre dramatique national à Colmar ? par exemple).
Ces constats doivent aussi permettre de tracer des pistes pour l’avenir des deux établissements.
Comme indiqué, l’emménagement de la bibliothèque de Colmar dans le couvent des Dominicains en 1951 a vu le début d’une proposition de lecture publique. Cette politique a connu son aboutissement dans le déménagement des collections à vocation de lecture publique des Dominicains vers le bâtiment rénové du Pôle Média Culture (PMC) en 2012, les collections patrimoniales et d’étude restant aux Dominicains. Ce déménagement et la séparation des collections en deux entités (lecture publique, c’est-à-dire le PMC et les trois bibliothèques de quartier, et patrimoine aux Dominicains) a eu des conséquences importantes :
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les équipes se sont fortement spécialisées, en oubliant peut-être les autres aspects du métier
l’unité de la bibliothèque, comme reposant sur deux piliers, patrimoine et lecture publique, a été remise en cause dans la perception des professionnels et des élus, comme des citoyens
l’éventualité d’une séparation de la bibliothèque en deux entités a été évoquée
En effet, après l’effort important réalisé pour la rénovation du PMC, la Ville de Colmar a entrepris la rénovation du site historique des Dominicains. Cette rénovation prestigieuse, qui se termine au printemps 2022 pour une ouverture le 25 juin 2022, réorganise totalement le bâtiment historique avec l’installation d’une exposition permanente à côté de la salle de lecture et de l’accès au cloître, et la construction d’un silo extérieur pour les collections. La question de l’exposition permanente, qui présentera en effet des exemplaires prestigieux des collections pour tracer une histoire du livre dans l’espace du Rhin supérieur, a fait l’objet de nombreux débats. S’agit-il d’une exposition permanente dans une bibliothèque patrimoniale, incluse dans un réseau de lecture publique ? Ou s’agit-il d’un musée, avec de manière annexe et quasi fortuite une salle de lecture, sans référence au réseau des bibliothèques ?
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L’exemple de la Bibliothèque humaniste (BH) de Sélestat était ainsi mis en avant, en particulier pour son aspect touristique, cette comparaison des bibliothèques apparaissant cependant comme très discutable, la BH ayant une toute autre histoire que la BM de Colmar.
La nouvelle équipe municipale élue en 2020 a tranché sur une affirmation de l’unité du réseau des bibliothèques avec ses deux piliers, dans le cadre d’une ouverture large de la bibliothèque, dans toutes ses composantes aux habitants et visiteurs de Colmar.
Cette question de la transformation en musée des institutions patrimoniales du livre semble toutefois être un sujet important de débat dans les collectivités territoriales, même si la tradition française issue de la Révolution ne se reconnait pas dans un tel dispositif.
La bibliothèque de Mulhouse a suivi le chemin inverse de Colmar : affirmation de la lecture publique, pour une redécouverte tardive de son patrimoine.
La mise en avant du patrimoine a été réalisée avec succès, en particulier parce que la bibliothèque devait pouvoir proposer de nouveaux services et mobiliser des ressources propres dans le cadre de financements resserrés. La mise en avant de ce patrimoine a été un outil pour nourrir l’éducation artistique dans le territoire.
La bibliothèque est désormais confrontée à la nécessité de repenser son réseau issu du militantisme des années 1970 : quelle bibliothèque tête de réseau ? quel rôle pour les bibliothèques de quartier ?
Le bâtiment de la Grand’rue, issu d’un agrandissement à la fin des années 1970 du bâtiment investi en 1905, et qui était à l’origine une fabrique, doit-il être rénové ? De quelle façon ? Ou faut-il que la bibliothèque centrale s’installe dans des bâtiments industriels, sur la friche des usines DMC (Dolfus – Mieg et compagnie) où est déjà installé un projet collaboratif pour artistes, MOTOCO ?
De même, la question du maillage de bibliothèques de quartier se pose aussi : faut-il mailler tout le territoire avec des bibliothèques parfois un peu modestes ou concentrer les moyens dans de plus grands équipements ?
La question de la fidélité à un modèle mulhousien de lecture publique se pose donc en ce moment. C’est sans aucun doute une chance pour Mulhouse et ses bibliothèques.
Ces deux grands établissements, comme ces deux villes, ont des histoires très différentes. Du point de vue des bibliothèques, on pourrait même affirmer que leurs histoires sont opposées, ainsi que leurs paradigmes. Pourtant, leurs évolutions récentes montrent un recentrage vers une politique de lecture plus équilibrée : développement de la lecture publique à Colmar, redécouverte du patrimoine à Mulhouse. Une hypothèse finale serait peut-être d’avancer que l’histoire de ces deux bibliothèques – peut-être aussi des deux villes – est très liée : ce serait justement parce que Colmar s’est définie par le patrimoine que Mulhouse a fait le choix de la lecture populaire, positions facilitées par des écosystèmes favorables. Ainsi, les deux bibliothèques seraient totalement complémentaires, et une des pistes pour l’avenir serait de les unir plus avant dans le cadre d’une bibliothèque numérique de référence.
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Cet article souhaite évidemment être objectif. Toutefois, il avance certaines hypothèses qui peuvent être débattues ou pour le moins approfondies, sinon replacées dans d’autres perspectives. Certains points importants n’ont pas été abordés, comme la période allemande et les deux guerres, points difficiles à traiter. Il entrainera peut-être des débats.
Cet article pourrait être considéré comme un modeste exercice d’égo-histoire, puisque je mets en avant dans ce texte des réflexions que j’ai pu développer alors que j’étais directeur de la Bibliothèque municipale de Mulhouse, puis de la Bibliothèque municipale de Colmar. Ces deux expériences ont été des moments charnières dans mon parcours de conservateur, mais aussi d’être humain, et en ce sens, l’article dévoile quelques aspects personnels de l’aventure que j’y ai vécue.
Que ces deux institutions, quoi qu’il en soit, soient assurées de l’affection que j’ai pour elles, et de l’admiration que je porte à tous les conservateurs, bibliothécaires, fonctionnaires et élus qui les ont fait vivre depuis leurs créations.
Jean-Arthur Creff
Conservateur général des bibliothèques
Chef du service des bibliothèques et de la lecture de la Ville de Paris
Directeur de la BMC de Mulhouse de 2007 à 2015, et de la BMC de Colmar de 2019 à 2022
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